De jeunes biologistes turques tentent de donner une place à chacun au milieu de steppes désolées.
Difficile de faire une nouvelle rencontre autour d’un meurtre. Et pourtant…
Située au nord de la Turquie, non loin de la frontière arménienne, Kars est la ville siège du livre Neige qui a valu à Orhan Pamuk son prix Nobel de littérature. C’est dans le vent et le froid de mars que je la découvre, ainsi que les projets ambitieux que mènent les militants écologistes de KuzeyDoğa.
Emrah Çoban, coordinateur scientifique, vient me retrouver pour me les présenter. Et je suis immédiatement plongé dans son quotidien. Direction l’Université Vétérinaire, où l’on vient d’apporter le corps sans vie d’un hibou Grand-Duc. C’est déjà le troisième cette semaine et il faut en découvrir les causes. Un virus ? Un parasite ? Non, l’autopsie révèle une cause bien plus simple. Espèce menacée, paisible et que l’on ne mange pas, elle a été pourtant tué par un chasseur. Consternation dans l’équipe, il est toujours difficile de faire face à la bêtise humaine.
Autopsie d'un Hibou Grand Duc
Dans une région où les hommes et la nature sauvage doivent cohabiter, les sources de conflits sont nombreuses. Les forêts ont rétréci, avalées par des villes et des décharges fournissant une nourriture facile et abondante à la faune sauvage qui se multiplie. Les montagnes Sarıkamış abritent de nombreux grands mammifères. S’y opposent ours et apiculteurs, loups et bergers, sangliers et cultivateurs… Prévenir ces conflits, c’est aujourd’hui un des axes prioritaires du travail de KuzeyDoğa.
Ours pris par un piège photo dans la forêt Sarıkamış (by KuzeyDoğa)
La première étape a été de rencontrer sur le terrain toutes les communautés pour les écouter, prendre en compte leurs difficultés et réussir à travailler avec eux. Ensuite, il s’agit aujourd’hui de fermer les décharges afin de réguler les populations d’animaux et retrouver un équilibre. Puis la création d’un corridor écologique (premier projet de ce type mené en Turquie) permettrait à la faune sauvage de se déplacer sans quitter son habitat. Enfin, promouvoir l’écotourisme permettrait d’assurer des revenus supplémentaires aux habitants.
L’ampleur de la tâche ne fait pas peur à ces militants qui ont déjà derrière eux d’impressionnantes victoires. Dès 2003, Çağan Şekercioğlu (président de KuzeyDoğa) initie un projet de biodiversité autour du lac de Kuyucuk et de sa faune fantastique. Juste 6 ans après, le site reçoit le statut Ramsar, la vieille route qui coupait le lac est devenue une île artificielle où les oiseaux peuvent se nourrir et nicher à l’abri…Leur travail est salué dans le monde entier et reçoit des prix prestigieux…
Lac Kuyucuk et Mont Ararat par une belle soirée d'été (by KuzeyDoğa)
Emrah termine d’ailleurs cette année sa thèse sur les oiseaux du lac Kuyucuk et sa passion est palpable. En route pour le centre de recherche d’Aras, il scrute le ciel du canyon et son visage s’éclaire lorsqu’il remarque plusieurs vautours, bien rares aujourd’hui par ici. C’est Sedat Inak, un des rares scientifiques turc habilité à baguer des oiseaux, qui nous accueille au centre. Le voir délivrer avec délicatesse ces oiseaux piégés par leurs filets, les peser, les mesurer puis les relâcher est un plaisir. L’an dernier, en deux mois et demi de campagne et avec l’aide de 61 volontaires venus du monde entier, ils ont pu recenser près de 150 espèces et baguer plus de 7800 oiseaux. Cette année, la campagne débute bien, Sedat a pu baguer pour la première fois en Turquie un oiseau encore jamais vu dans la région (Bruant à Calotte Blanche).
Libération par Sedat d'un oiseau après l'avoir bagué
Je suis frappé par la jeunesse de ces biologistes qui s’engagent aujourd’hui pour protéger leur nature. Par leur envie et leur volonté de faire que tous puissent vivre ensemble et que chacun trouve sa place, hommes et animaux. Dans cette région à l’histoire troublée et où certaines frontières restent fermées, ils sont un bel espoir de coexistence intelligente et apaisée.
Pour en savoir plus :
Sur l’ONG Kuzeydoga: www.kuzeydoga.org
Sur le lac Kuyucuk: www.kuyucuk.org
Sur l’appellation RAMSAR : www.ramsar.org
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