Au printemps, des arbres voyagent à travers toute l’Arménie pour trouver leur terre d’accueil.
« Regardez autour de vous, faites attention à la manière dont les hommes exploitent les forêts, l’eau, la terre…Tant de gâchis montrent à l’évidence que l’homme n’est pas encore (ou n’est plus) prêt à vivre en harmonie avec la nature. » Voilà les premières phrases du manuel d’éducation à l’environnement développé par l’Armenia Tree Project.
Pourtant cela n’a pas toujours été le cas en Arménie. Dès le 8ème siècle avant JC, le roi Sardur plantait de vastes forêts autour de sa capitale pour en tempérer le climat. Les arbres protègent les sols de l’érosion, ils permettent à l’eau de pénétrer la terre facilement prévenant ainsi les inondations, ils purifient l’air… Bref, leur importance n’est pas à démontrer.
Mais au début des années 90, le destin semble s’acharner sur ce petit pays. Tremblement de terre, conflit avec l’Azerbaïdjan et dislocation de l’URSS provoquent une crise énergétique sans précédent… Il faut bien alors lutter contre le froid hivernal et seul le bois reste disponible. Les arbres tombent et brûlent dans les poêles, les forêts et les parcs se transforment en terres pelées. Ces forêts, dont il ne reste sans doute plus que 10% de la surface originelle, semblent condamnées…
Arménie, monastère de Goshavank
C’est alors qu’une poignée d’arméniens décide de créer l’ATP pour remplacer ces arbres coupés et empêcher que leur pays ne se transforme en désert de pierre… Tout d’abord en ciblant les espaces publics puis en entrant chez les gens en leur fournissant des arbres fruitiers. Leurs résultats sont impressionnants : entre 1994 et 2010, près de 3,5 millions d’arbres ont été planté sur plus de 800 sites. Et avec l’expérience, leur taux de survie avoisine les 90% !
Début avril, à Erevan, le printemps est déjà là et c’est le rush. Je rencontre l’équipe d’ATP au moment où ils ont le plus de travail, des milliers d’arbres attendent de trouver leur jardin, leur montagne. C’est une bien longue journée qui débute pour Areg et Arthur. Tous deux vont traverser tout le nord de l’Arménie. Première étape, la pépinière de Karyn, la plus ancienne. C’est ici qu’ils vont récupérer une première partie des arbres qui vont voyager aujourd’hui. Direction ensuite les villages de Kalavan et de Drabek, pour de nouvelles brassées de ces jeunes arbres. Des habitants en ont pris soin pendant deux à trois ans avant de pouvoir les vendre à l’association. Patiemment, Arthur s’assure de la qualité de ce qui lui est présenté et explique pourquoi il doit en rejeter une partie.
Pépinière de Karin, préparation des jeunes arbres
Sélection par Arthur des arbres au village de Kalavan
Fournir des revenus supplémentaires aux familles les plus fragiles de zones rurales et montagneuses participe de la cohérence globale du projet. Des centaines d’emplois ont été ainsi créés à travers le pays. « Avant l’arrivée d’ATP, le village partait à l’abandon, il n’y avait aucune perspective d’avenir ici. » se souvient Henrik Gabrielyan le maire d’Aygut, petit village près du lac de Sevan. Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, la vie revient. Le nombre d’élèves à l’école du village est repassé de 97 à 225 !
Fin de journée. Nous arrivons au village d’Aknaghbiur. Les habitants se sont déjà rassemblés autour de la mairie. Chacun d’entre eux repartira avec 4 arbres fruitiers d’espèces indigènes et différentes, à leur charge d’en prendre soin. Le silence se fait, Arthur donne des conseils et répond aux questions. Des yeux pétillent, de vieilles mains se serrent sur de jeunes troncs. Arthur leur donne rendez-vous dans quelques mois, il reviendra s’assurer que tout va bien. Dans un beau sourire, Areg confirme : « nous n’oublions jamais nos arbres. »
Le prochain défi à relever, c’est la mise en place d’un plan de gestion forestière durable et efficace. Et pour cela, il s’agit de nouveau d’associer les communautés, afin qu’elles veillent sur les forêts comme elles le font de leur jardin.
L’équipe d’ATP est plus enthousiaste que jamais. Voilà des années qu’elle travaille avec les jeunes et qu’elle place l’avenir dans leurs mains. Jeff Masarjian, le directeur d’ATP en rêve : « nous espérons qu’ils deviennent les nouveaux gardiens de la Terre et qu’à mesure que ces nouvelles générations mûrissent, elles établissent de nouvelles priorités. »
Les graines ont été plantées.
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